Chapitre 6

 

Un matin, quelques jours avant la fin de maïa, Kélys vint trouver Lisbeï dans sa chambre, où elle était censée profiter de l’heure du petit déjeuner pour recopier le carnet. (Tula lui apportait en hâte un plateau après avoir déjeuné elle-même et avant d’aller travailler avec Selva et Mooreï, qui ne la lâchaient plus.) Lorsqu’on annoncerait sa découverte, le carnet et tout le reste iraient certainement à Wardenberg où se trouvaient les chercheuses les plus qualifiées et la Bibliothèque la mieux fournie : Lisbeï serait alors une Bleue, mais pas une exploratrice, et Béthély ne pourrait réclamer l’exclusivité de sa trouvaille. On renverrait bien sûr une copie du carnet à Béthély mais, avait remarqué Selva, Lisbeï n’avait pas besoin d’attendre tout ce temps : si elle le voulait, elle pouvait le recopier tout de suite. Lisbeï s’était attelée aussitôt à la tâche. Selva avait été satisfaite de voir que la diversion avait été acceptée ; Lisbeï avait été satisfaite de voir que Selva le croyait.

Kélys s’assit à califourchon sur la deuxième chaise et observa Lisbeï qui, après avoir pris son temps pour lui ouvrir la porte, s’était remise au travail. C’était un passage particulièrement ardu : l’écriture en était presque illisible. Les choix faits à la copie du carnet en orienteraient plus tard la traduction ; Mooreï avait conseillé de consigner toutes les graphies possibles suggérées par les mots difficiles à lire du premier coup. Cela allongerait la tâche, mais ce serait un avantage par la suite.

Au bout d’une dizaines de minutes, Kélys n’avait toujours rien dit. Elle était assise là, laissant sa présence calme et un peu amusée rayonner sur Lisbeï, qui, exaspérée, ne put rester silencieuse plus longtemps et demanda avec une politesse exagérée : « Puis-je faire quelque chose pour toi ?

— Venir faire un tour avec moi ? dit l’exploratrice sans se troubler.

— Je dois aller travailler à la buanderie ce matin.

— C’est arrangé. Tu as quartier libre pour là journée. »

— Oh vraiment ? « Selva est au courant ?

— Selva n’y verra pas d’inconvénient quand elle le saura. »

Lisbeï dévisagea Kélys, qui écarta les deux mains, paumes roses tournées vers l’avant, en écarquillant les yeux avec une expression de totale innocence : « Sans obligations ! »

Puis, tendant un long doigt noir pour caresser la joue de Lisbeï : « Mais qu’on est devenue soupçonneuse, petite Lisbéli. »

Que dire à cela ? « Tu m’as trahie » ? Vraiment trop mélodramatique, même si c’était ce que ressentait Lisbeï chaque fois qu’elle pensait au conseil et à l’attitude de Kélys. Elle rangea plumes et papiers avec le précieux carnet et ferma le tiroir à clé.

« Un tour où ?

— À chevale. Rien que toi et moi. »

Il n’y aurait pas d’autre réponse, comprit Lisbeï, qui sortit ses habits de monte.

Les premières participantes à l’Assemblée n’avaient pas commencé d’arriver, l’anneau plat des anciennes fortifications était occupé, comme d’habitude, par les vachettes et les oveines. On avait cependant déjà démonté les enclos de toute la portion sud de l’Esplanade et on s’affairait à enlever aussi ceux de la portion ouest : bon nombre des participantes aux Jeux arriveraient en même temps que les Mères ; et comme le pèlerinage de Garde commencerait après la Célébration, le 21 de junie, on démonterait sans doute aussi les autres enclos pour que tout ce monde puisse camper. Avec les animales des arrivantes, le bétail serait conduit dans les pâturages de l’est, situés dans la grande boucle de la Douve. Les carrioles en provenance des Fermes ne cessaient de faire la navette depuis l’aube, comme elles le feraient pendant encore plusieurs jours ; selon la coutume, tout le monde apporterait ses propres provisions, aussi bien pour l’Assemblée que pour les Jeux ou le Pèlerinage ; mais la coutume de Béthély voulait qu’on fût toujours prêtes à traiter somptueusement les visiteuses – surtout quand c’étaient les Mères de l’Assemblée. Au-delà de la Porte Ouest, la gigantesque tente de l’Assemblée n’était pas encore montée, mais les mâts étaient installés depuis deux jours et on amènerait bientôt les toiles auxquelles les dotta mettaient la dernière main sous la supervision des captes couturières ; les presque deux mille emblèmes des Familles principales y étaient cousues de longue date, mais à chaque grande Assemblée il fallait ajouter celles des nouvelles Boutures qui s’étaient constituées pendant les quatre années d’intervalle ; Lisbeï se rappelait l’année où l’Assemblée de Litale avait eu lieu à Béthély, et l’extrémité douloureuse de son index et de son pouce gauche transformés en pelotes.

Lisbeï fut surprise de voir la grande alezane de Kélys prendre la direction du nord-est. Le fusil de Kélys se trouvait dans son étui accroché à la selle, mais Kélys n’avait pas dit à Lisbeï de prendre une arme. Elle dut voir le regard de Lisbeï et sourit en posant la main sur la crosse incrustée de nacre : « Juste l’habitude. On ne va pas si loin. »

Mais on allait par là quand même. Du côté des Mauterres.

Jusqu’à l’arrivée de Kélys, l’extérieur de Béthély n’avait été pour la petite Lisbeï que des mots et des taches colorées sur les cartes. « Et là, tu vois », avait dit Mooreï la première fois, en suivant du doigt le pointillé bleu qui bordait la grande tache noire irrégulière au nord et à l’est de Béthély, et qui continuait loin, loin jusqu’au bord droit de la carte, « ce sont les Grandes Mauterres. Au-delà de la frontière, l’air, l’eau, les plantes et les animales sont de plus en plus empoisonnées. »

Sur les cartes du Pays des Mères, les points et les taches plus ou moins grandes, d’un gris plus ou moins foncé, étaient des Mauterres aussi, mais pas les Grandes Mauterres. Avant le Déclin, avant la montée des eaux qui avait transformé l’aspect des continents, elles avaient été des régions très peuplées dans les anciens pays. Ou même des pays entiers, comme les Grandes Mauterres. Il y vivait trop de gens, qui fabriquaient trop de choses qui laissaient trop de déchets, et beaucoup de ces déchets avaient été des poisons, et on les avait répandus partout, parfois par accident, parfois par ignorance et par stupidité. Maintenant, ces régions ou ces pays étaient le repaire des Abominations (disaient les histoires d’horreur racontées par les tutrices à leurs dotta qui les écoutaient avec des frissons), de plantes et d’animales mutantes (dirait Antoné avec cet éclat particulier dans sa lumière, à la fois triste et fâché, avant de rappeler à Lisbeï ses leçons de génétique) et des renégates (avait dit Mooreï avec un soupir attristé le jour où elle avait montré la carte à Lisbeï, sans expliquer ce qu’étaient des renégates). La petite Lisbeï avait contemplé la tache noire, l’esprit soudain traversé par une idée effrayante : si le doigt de Mooreï touchait la tache, deviendrait-il noir aussi, empoisonné ? Inconsciente du péril, Mooreï avait continué : les taches grises étaient des Mauterres moins empoisonnées que les autres (« moins contaminées » ou « moins polluées », dirait plus tard Antoné). Seules les exploratrices s’y rendaient et comme seules les Bleues pouvaient être exploratrices, il n’y avait pas de danger pour les graines d’enfantes. Pourquoi elles y allaient ? Parce qu’il y avait des « artefacts du Déclin » dans les Mauterres, des choses et des informations du passé qui pouvaient être utiles et n’étaient pas forcément contaminées elles-mêmes.

Et c’était tout ce qu’il y avait à savoir. Lisbeï s’était vite fait une opinion sur les Mauterres, les Grandes, celles qu’on appelait aussi « les Mauterres de Béthély », même si la Famille n’en réclamait pas la propriété : c’était une sorte de non-lieu, comme un grand vide qui confirmait, par contraste, l’existence de ce qui seul comptait vraiment : le Pays des Mères. Et le Pays des Mères, d’une certaine façon, servait surtout à enchâsser Béthély. La petite Lisbeï aurait presque trouvé normal que Béthély fût encerclée de noir : cela aurait satisfait son désir de symétrie bien mieux que ces irrégulières taches bleues, les lacs, les mers (beaucoup plus grandes que le ruban bleu de la Douve, beaucoup trop grandes pour être autre chose que des mots), ou les taches brunes des montagnes (on en voyait au nord-est depuis les étages supérieurs de la Tour Ouest : il y en avait de très hautes dans les Grandes Mauterres), ou les taches vertes des plaines, comme celle qui entourait Béthély. Mais comment l’immensité de Béthély (pour les sept années de Lisbeï à peine sortie de la garderie) pouvait-elle tenir dans ce minuscule petit rond sur la carte ?

Mooreï lui avait alors expliqué que la carte était une représentation des lieux et non les lieux eux-mêmes, pas plus que les mots utilisés pour désigner les choses n’étaient ces choses, et cette leçon-là avait bien plus intéressé la petite Lisbeï que la carte, même avec les Mauterres. C’était bien de savoir que le Pays des Mères était là tout autour, mais somme toute, Béthély était bien assez grande… la Tour Ouest était bien assez grande pour l’instant ! Lisbeï se contenterait de penser que le Pays des Mères, c’était l’autre côté de Béthély.

Et puis Kélys était arrivée. Kélys, une pérégrine. Avec Kélys, « dehors », « ailleurs » retrouvaient presque l’éclat magique qu’ils avaient eu à la garderie – avant que Lisbeï apprît qu’elle devrait y vivre sans Tula. Kélys avait assez d’éclat par elle-même aux yeux de Lisbeï sans le charme d’une origine exotique, mais c’était un prestige immense pour Tula : Kélys venait de l’autre côté de la mer ! Elle lui demandait sans cesse des histoires et Kélys racontait toujours de bonne grâce.

Tula n’irait nulle part, maintenant, ou seulement à des Assemblées, ce qui ne comptait pas vraiment.

Quand elle ne serait plus la Mère, elle pourrait partir, pas avant. Elles pourraient partir toutes les deux… Pourtant, en la regardant avec Selva (elles se ressemblaient tellement maintenant, toutes les deux rousses, blanches et lisses) et en pensant à Mooreï qui était une Bleue depuis plusieurs années maintenant, mais n’avait jamais manifesté aucune velléité de quitter Béthély autrement que pour accompagner Selva, Lisbeï s’était souvent demandé si vraiment on les laisserait partir un jour – sans trop savoir si ce « on » était Selva ou Béthély.

Mais on ne laisserait sûrement jamais Tula partir avec elle étant donné ce qu’elle méditait de faire. On ne la laisserait peut-être même pas devenir la Mémoire de Tula.

« Qu’est-ce que tu veux faire, Lisbéli ? demanda Kélys.

Lisbeï sursauta, mais Kélys n’était pas en train de lire ses pensées ; Kélys voulait dire « quand tu seras officiellement une Bleue ».

« Je serai la Mémoire de Tula », répondit-elle en essayant de calmer les battements de son cœur. Comme si Kélys ne le savait pas !

« Non, qu’est-ce que tu veux faire, Lisbéli », reprit Kélys, patiente.

Et la lumière de Kélys était si claire aujourd’hui, impossible de se tromper : elle désirait vraiment savoir ce que Lisbeï voulait faire de sa vie, c’était important pour elle de le savoir, parce qu’elle aimait réellement Lisbeï.

Honteuse de ses soupçons, émue, la gorge soudain serrée, Lisbeï murmura : « Je ne sais pas, je n’ai pas pensé à ce que je ferai après…

— Après quoi ? »

Lisbeï se reprit avec un tressaillement intérieur. Non, elle ne devait pas le dire, elle ne pouvait pas, même à Kélys. Elle ne l’avait pas dit à Tula !

« Après quoi, Lisbéli ? » reprit Kélys, les sourcils un peu froncés, et de nouveau son amour, son inquiétude et son désir d’aider entourèrent Lisbeï comme un parfum capiteux.

Lisbeï se raidit. Non. Il ne fallait pas en parler. Pour leur bien même, pour les protéger.

« Tu n’as pas pensé à devenir exploratrice, Lisbéli ? » dit Kélys, et Lisbeï lui fut reconnaissante de ne pas avoir insisté. « Elle était très bien, ta première traduction de Halde, compte tenu du fait que tu n’as pas de formation particulière de linguiste. Et avoir trouvé les souterrains, avoir eu l’idée que c’était peut-être des souterrains et avoir suivi ton idée… C’est ça aussi, être exploratrice. »

Lisbeï n’y avait pas pensé. Elle fit semblant de considérer la possibilité. Et oui, somme toute, même en faisant semblant, il y avait quelque chose d’attirant, si c’était ça aussi, être une exploratrice : trouver ce qui était perdu, ou caché, ramener le passé au jour. Mais il y avait aussi tous ces voyages. C’aurait été bien pour Tula, être exploratrice.

Elle soupira : « Non. Non, je ne crois pas. »

Kélys sourit : « Dommage. On fait la course jusqu’au bois ? »

De course en course, à mesure que la matinée puis l’après-midi passaient, elles arrivèrent sur le plateau rocailleux d’où on pouvait voir, alignées en travers des collines à l’herbe rase, les grandes pierres frottées de bleu. Quand Kélys poussa son alezane en avant, Lisbeï resta sur place. Kélys se retourna vers elle avec un sourire en biais : « Tu ne risques plus rien, non ? » Et alors que Lisbeï la contemplait, déconcertée par l’éclat ironique qui accompagnait ce sourire, elle redevint sérieuse : « Le danger ne commence que bien au-delà des pierres bleues. On les a mises en place il y a plus de trois siècles. Les Mauterres ne sont pas immuables, même les Grandes Mauterres, tu dois bien le savoir ? »

Mais des patrouilles avaient encore signalé les traces d’une animale inconnue l’année précédente, bien trop grandes pour une ourse normale. Les Grandes Mauterres étaient beaucoup plus polluées que toutes les autres. Tout le monde le savait. C’était pour cela que les patrouilles ne dépassaient guère les pierres bleues pour les prélèvements des échantillons de sol et d’eau, la collecte des plantes et des insectes ; et c’était pour cela qu’on y envoyait les renégates.

« Il y a la tradition, Lisbéli, ce qu’on entend dire, et puis la réalité, ce qu’on va voir soi-même.

— Tu y es allée, toi ?

— Comment crois-tu que j’aie trouvé Loï ? »

Lisbeï rapprocha sa jument de celle de Kélys, intéressée malgré elle : « C’est toi qui as trouvé Loï ? Tu étais partie à sa recherche ?

— Non. J’allais à Béthély. C’est un raccourci, couper par les Mauterres depuis la route de Cartano. On gagne une bonne heure. »

Loï n’était pas allée bien loin. Un klim peut-être à l’intérieur des pierres bleues. C’était loin cependant, si on pensait que pour des Juddites un mètre suffisait. Peut-être avait-elle pensé à aller encore plus loin, ce jour-là, à rester dans les Mauterres. Mais elle s’était arrêtée là et elle avait allumé un petit feu parce que ça lui était égal sans doute de se faire repérer par ce qui pouvait vivre dans les Mauterres – égal de vivre ou de mourir tout de suite.

Le visage de Kélys, comme sa lumière, s’était durci. Elle mit pied à terre, prit sur sa selle le sac qui contenait leur nourriture et s’assit, le dos appuyé contre une des pierres. Après un moment d’hésitation, Lisbeï en fit autant. C’était vrai, après tout : elle ne risquait sûrement plus rien de toute façon.

Elles mangèrent un moment en silence. Lisbeï ne pouvait s’empêcher de sursauter au moindre bruit qui se détachait des crissements d’insectes : cri d’oiseau ou craquement de branche au-delà de la lisière des pierres.

« Détends-toi, Lisbéli. Tu n’as pas confiance en moi ? »

C’était dit sur un ton léger mais un peu incisif. Lisbeï leva les yeux de son sandwich et Kélys se mit à rire, un grand éclat de dents blanches dans son visage sombre : « Ah ! Je t’ai trahie, je sais. Je vous ai trahies, toi et Tula. Mais surtout toi, n’est-ce pas ? »

Lisbeï baissa la tête sans savoir que dire. Kélys reconnaissait qu’un lien spécial existait entre elles, et du même mouvement elle semblait le nier !

Les longs doigts minces vinrent lui relever le menton : « Il aurait fallu que je « trahisse » Selva, Mooreï et Béthély, et mon devoir à l’égard des Mères ? Tout cela pour toi, Lisbéli ? »

La raison soufflait la réponse et Lisbeï marmonna « Non », un peu honteuse de sentir qu’une autre émotion en elle disait « Oui ! »

Kélys dut la sentir aussi, car elle devint grave : « Que je me trahisse moi-même, Lisbéli ? Que ferais-tu si je te demandais de ne jamais en parler, de ce carnet, à personne ? »

Lisbeï la regarda de nouveau, alarmée ; puis, en se reprochant intérieurement sa stupidité, elle examina la question : « Ça dépend peut-être des raisons que tu me donnerais ?

Pas de raisons. Seulement la raison que ça ferait beaucoup de mal à beaucoup de gens, moi la première, si tu en parlais.

— Ça ne fera de mal à personne ! » Lisbeï se mordit les lèvres, trop tard. « Quand on en parlera, après l’Assemblée, ajouta-t-elle.

— Non, non. Suppose que c’est moi qui te demande maintenant de… de détruire le carnet, par exemple.

— Le détruire ! Mais pourquoi ?

— Parce qu’il contiendrait des choses compromettantes pour moi, par exemple. Pour ma Famille. Supposons, Lisbéli ! ajouta-t-elle avec un mince sourire devant l’expression de Lisbeï. Faisons comme si, d’accord ? Supposons que l’existence et les révélations de ce carnet sont très importantes pour toi et sa disparition très importante pour moi. Non, pour Tula ! Tula te demande de le détruire. Que ferais-tu ? »

Mais Tula ne lui demanderait jamais une chose pareille !

Kélys hocha la tête : « Oui : Tula sait qu’il est des parties de toi auxquelles tu ne peux renoncer sans cesser d’être toi. Et si tu n’es plus toi… eh bien, d’une certaine façon, Tula ne serait plus Tula non plus. Tu comprends ? »

Lisbeï se força à mordre dans son sandwich et à avaler la bouchée en même temps que la boule qui lui serrait la gorge. Oui, elle comprenait. Et non, bien sûr, Kélys ne l’avait pas trahie. Pas plus que Tula ne pourrait jamais la trahir. Ou elle, Lisbeï, trahir Tula.

Mais n’était-ce pas ce qu’elle s’apprêtait à faire, d’une certaine façon ? En ne lui disant pas ses intentions ?

Non. Elle mordit plus résolument dans le sandwich. Elle se taisait pour la protéger.

Ou pour éviter, peut-être, que Tula ne lui demande de renoncer à son projet ? Mais la pensée s’effaça aussitôt formulée. Elle se taisait pour protéger Tula.

Kélys mangeait aussi, les yeux au loin, puis fixés sur une papillonne rouge et jaune qui était venue se poser sur un brin d’herbe non loin d’elle. Elle se pencha lentement, tendit un doigt en travers du chemin de la papillonne qui y grimpa et y demeura, comme un bijou éclatant sur la peau noire, battant des ailes par intermittence.

« Tula…, dit Kélys, pensive. T’es-tu déjà demandé, Lisbeï, ce qui te relie à Tula ? Ou à Antoné ? Ou à moi ? La façon dont nous nous percevons ? »

Lisbeï resta un instant interdite. Avec Tula… c’était ainsi, voilà tout, depuis toujours. Elli les avait faites ainsi, c’était la réponse de Tula, et Lisbeï avait fini par la faire sienne. Les autres – et surtout Kélys, dont la lumière pouvait disparaître et reparaître comme à volonté… Elles n’avaient jamais abordé le sujet, ni Antoné ni, jusqu’à présent, Kélys. Sans savoir pourquoi elle était sur la défensive – avec Kélys et justement maintenant ! – elle demanda : « Et toi ? »

Kélys se mit à rire et la papillonne s’envola. Lisbeï sentit plus clairement pourquoi elle s’était raidie : ce n’avait pas été une vraie question ; Kélys y avait pensé, en effet ; Kélys avait même sûrement une réponse.

Elles se regardèrent un moment sans parler, puis Kélys sourit – et c’était différent, un peu triste, un peu grave. « Nous avons toutes eues la Maladie. Oui ?

— Oui, dit Lisbeï, sans voir où elle voulait en venir.

— Et nous ne sommes plus malades. Et quand nous avons un accident, nos blessures guérissent plus vite. Pas seulement nous trois, Lisbéli. Beaucoup d’autres sont comme nous. La Maladie n’avait pas ces effets-là, autrefois. La Maladie a changé. Et la Maladie nous a changées. »

Kélys appuya sa tête contre la pierre bleue. « Les mutations n’existent pas seulement dans les Mauterres, Lisbéli. Elles ont commencé il y a très longtemps, avant le Pays des Mères, et elles continuent au Pays des Mères. La plupart sont mauvaises et on en meurt, tout de suite ou pas. Certaines… on n’en meurt pas, comme celle qui fait naître plus de filles que de garçons. Et d’autres sont nouvelles. Comme la nôtre. »

Ses yeux n’avaient pas quitté Lisbeï. Ses yeux et sa lumière guettaient Lisbeï. Est-ce que Lisbeï était censée avoir peur ou se mettre à crier « Abomination » en faisant le signe d’Elli ? Kélys devait la connaître mieux que ça !

« Ou celle des Compagnes de Garde, enchaîna-t-elle, en mordant dans son sandwich.

— Ou celle des Compagnes de Garde », acquiesça Kélys. Mais elle était toujours attentive.

« C’est la Tapisserie d’Elli », conclut Lisbeï – et c’était même ce qu’elle pensait vraiment. Où voulait donc en venir Kélys ?

« La Tapisserie d’Elli », acquiesça encore Kélys. Après une petite pause – déçue ? surprise ? amusée ? C’était comme tout cela en même temps dans le pétillement soudain de sa lumière – elle reprit, grave à nouveau : « Il y a un autre effet de cette mutation. Quelquefois, nous ne devenons jamais des Rouges. »

Oh ! C’était qu’elle voulait en arriver. Lisbeï s’examina en silence. Pas de colère en elle, non, même pas de surprise. Ou alors, soulagée : être une Bleue, ce n’était pas… une punition ? Mais pourquoi penser à une punition ? De quoi l’aurait-on ainsi punie ? Elle écarta cette pensée, cette émotion. C’était un effet de la génétique. Un accident génétique. Eh bien, c’aurait pu être pire, n’est-ce pas ? Elle aurait pu ne pas être plus grande qu’une mosta à quarante années, comme les pauvres Compagnes, ou pire encore, naître sans bras, ou avec une autre de ces déformations qui ne vous tuent pas mais vous obligent à vivre dans la grande maison près la Ferme du Plateau avec les autres handicapées vraiment impossibles à intégrer à la vie des Tours.

« Antoné le sait ? » Quelle question ! Bien sûr, Antoné devait le savoir. Mais pourquoi ne le lui avait-elle pas dit ?

« Oui. Mais ce n’est pas automatique. J’ai eu des enfantes, moi, par exemple. »

Kélys ? Pour une raison qu’elle démêlait mal, Lisbeï avait du mal à imaginer Kélys en Rouge. L’exploratrice lui adressa un petit sourire en biais : « Plusieurs enfantes. »

Après un moment de réflexion, Lisbeï recommença à manger. « Les mutations défavorables vont s’éliminer d’elles-mêmes, si les porteuses ne se reproduisent pas, dit-elle entre deux bouchées.

— En effet », dit Kélys. Sans doute impressionnée par le calme de Lisbeï, elle se tut pendant un long moment. Puis, alors qu’une autre papillonne, d’un blanc banal celle-là, était revenue voleter autour d’elles, elle dit d’une voix rêveuse : « Ce doit être un peu comme les papillonnes. Nous, entre nous, continua-t-elle en percevant l’étonnement de Lisbeï. Les papillonnes mâles peuvent retrouver les femelles à de très longues distances, parce quelles émettent un… parfum que nous humaines ne pouvons percevoir, mais qui est assez puissant pour être perçu à des klims par les mâles. On appelle ça des « phéromones ». Les humaines en émettent aussi. Mais on ne les perçoit pas consciemment. Nous, nous le pouvons, ou quelque chose d’approchant. Et apparemment, nous pouvons aussi les contrôler. »

Un malaise indistinct puis de plus en plus aigu montait en Lisbeï. Peur, elle avait peur ! Mais… La vague se retira aussitôt, la laissant haletante, tous les muscles noués. Kélys lui souriait d’un air innocent.

« Toi ? balbutia Lisbeï, incrédule. C’est toi qui… »

La tête noire s’inclina en silence.

« Comment tu fais ?

— À vrai dire, je ne sais pas trop. Nos émotions produisent des modifications dans notre corps, n’est-ce pas ? Je fais l’inverse, je suppose. J’ai imaginé que j’avais très peur et ton corps a perçu dans le mien, ou émanant du mien, les modifications physiques que suscite la peur. C’est devenu presque automatique pour moi, maintenant. Mais, au début, j’essayais avec la taïtche, la concentration. Comme pour ta fracture au bras, tu te rappelles ? J’avais une amie qui était comme moi, on essayait ensemble de contrôler ce qu’on… émettait et ce qu’on recevait. Tu as dû le faire avec Tula quand vous étiez petites, avec Selva et Antoné aussi, mais sans t’en rendre compte. »

Elles pourraient peut-être essayer maintenant, elle et Tula ! Mais l’excitation de Lisbeï retomba aussitôt. Sûrement pas maintenant. Et après l’Assemblée… Elle détourna résolument ses pensées du sujet.

« Quoique Tula, c’est un peu différent, poursuivait Kélys, qui semblait n’avoir rien perçu et continuait d’une voix pensive maintenant. Comme Selva. La barrière-miroir… Les émissions s’annulent, peut-être. Antoné aussi, c’est différent. Elle a besoin du contact direct. » Kélys sembla se secouer. « Oui, il y a des variations. Mais…

— Mais toutes liées à la Maladie – qui n’est pas une maladie », conclut Lisbeï.

Kélys acquiesça. Elle avait trouvé moyen de terminer son sandwich tout en parlant. Lisbeï finit le sien, posa la main sur la pêche striée de rose que lui tendait Kélys.

« C’est pour me dire ça que tu m’as emmenée ? »

Kélys ne lâcha pas la pêche tout de suite. Elle contemplait Lisbeï de ses grands yeux liquides, les sourcils un peu arqués, comme si elle s’était posé aussi une question. Elle laissa aller le fruit : « Oui, dit-elle, entre autres choses. »

Mais elle laisserait Lisbeï déterminer elle-même quelles étaient ses autres confidences.

 

* * *

 

(Lisbeï/Journal à Wardenberg)

 

Wardenberg, 23 d’ellième 492 A.G.

 

… Elle m’a demandé si je me souvenais d’elle, de notre première rencontre. Comme si j’avais pu l’oublier ! Mais elle a dit « Non, la première rencontre. » Elle a ouvert les premiers boutons de sa tunique et elle m’a montré le collier.

C’est avec elle que j’avais parlé, la veille de l’ouverture de l’Assemblée ! Mais tu ne sais pas. Je ne te l’ai pas raconté non plus.

J’avais réussi à m’échapper de la réception organisée pour les Captes de Baltike, tu te rappelles ? Tu m’avais vue partir et tu m’avais fait un clin d’œil. Depuis plusieurs nuits j’avais du mal à dormir et, cette nuit-là, la veille de l’Assemblée, je savais que je n’y arriverais pas. Je ne voulais pas rester toute seule dans ma chambre. Plus je pensais, moins j’étais sûre de ce que j’allais faire. Je ne savais plus si c’était heureux ou malheureux que tu aies été si occupée depuis quinze jours : j’aurais tellement voulu tout te dire, je voulais tellement que tu ne saches rien… J’avais décidé de faire le tour de la Foire. C’était la nuit des masques, personne ne ferait attention à moi. Je n’avais pas eu le temps de me faire de masque, bien sûr, mais Elli faisait frais : j’avais mis ma cape sur mes habits verts, avec la capuche.

Les autres années, nous faisions le tour chacune de notre côté et nous nous racontions ensuite ce que nous avions vu ; souvent nous avions remarqué les mêmes objets, tu te rappelles ? Nous n’avions guère eu le temps d’aller faire le tour de la Foire cette fois. Pas ensemble, en tout cas. Je ne sais pas si tu avais remarqué ce collier. C’était un rang d’étoiles à six branches en émail cloisonné rouge et bleu, le rouge en dominante. L’artisane de Baïanque qui l’exposait en était très fière : le collier était tout seul sur un présentoir devant les autres bijoux, bagues et bracelets, broches, peignes. Tout était vraiment ravissant, mais le collier, c’était autre chose, pas « ravissant », justement ; aussi délicatement travaillé que le reste, mais avec une sorte de… force, de dignité, comme un collier de Mère. J’avais repéré d’autres objets ; cette statuette de Torre-molines, en bois noir poli, deux silhouettes symétriques de paradeuses ne se touchant que du bout des doigts et dont les lignes étirées m’avaient aussitôt rappelé Kélys. Un sextant de cuivre, aussi, gravé de figures marines, sur une étale de Liborne. Même si j’avais eu le temps cette année-là de préparer quelque chose pour l’Échange, je n’aurais rien eu à offrir d’équivalent. Ce n’était pas pour cela que je me promenais dans la Foire de toute façon ; je voulais m’étourdir.

La nuit tombait. Plusieurs artisanes ont replié leur étale. Sur l’Esplanade Ouest, vu de la Foire, le village de tentes ressemblait à un champ de grands lampions avec les parois colorées des tentes illuminées de l’intérieur. Les Tours s’allumaient aussi. C’était l’heure qu’on attendait toutes autrefois, quand les adultes dînent, quand les petites Vertes prennent possession de la Foire. Il y avait de la musique, des cris, des rires, des dotta qui couraient tout excitées. Moi, j’avais l’impression d’être dans une bulle de silence. Je me suis laissée dériver du côté des estrades. Les acrobates, les jongleuses, les conteuses ; comme d’habitude à cette heure-là, c’étaient des histoires pour enfantes. Cyndrella, notre version du Sud. Sais-tu que j’en ai trouvé douze versions différentes, ici, dans les Archives ? C’était déjà commencé, on en était au moment où la nourrice-magicienne trouve Cyndrella en larmes dans son coin des cuisines. C’est seulement dans notre version que Cyndrella est une nemdotta et que sa mère, la vieille et méchante Reine de la Ruche, ne Va pas reconnue parce qu’elle est issue d’un Bourdon tombé en disgrâce ; la poupée qui la représentait portait le cercle noir bien en évidence sur son épaule gauche : fille de personne. Pauvre Cyndrella, devenue esclave, condamnée à toutes les tâches les plus dures et les plus salissantes ! (Quand Mooreï me racontait l’histoire, je me rappelle, elle énumérait toutes les corvées que moi-même je détestais faire aux cuisines.) Et Cyndrella pleure dans son coin : c’est le jour du Choix et une nemdotta comme elle n’a pas le droit d’assister à la fête, bien sûr.

Les épaules de Cyndrella tressautaient de façon pitoyable tandis que la récitante sanglotait son texte sur le côté de la scène. Et puis la nourrice-magicienne entre. Elle va effacer d’un coup de baguette magique le tatouage noir. (Il disparaît réellement, oooh, aaah ! Il nous en a fallu du temps pour comprendre le truc de l’encre et du solvant.) Et un autre coup de baguette habille Cyndrella de vêtements splendides. Les trucages étaient très bien exécutés, les petites étaient ravies – nous sommes plus habituées à la simple version orale, à Béthély ! « Fais-toi passer pour la Reine de Milane, personne ne te connaît ici puisque tu n’es personne », dit la nourrice avant de faire une pétaradante sortie magique. On distinguait à peine les yeux des marionnettistes dans la lumière des gazoles ; devant le rideau sombre, avec leurs habits, leur capuche et leurs gants, on les voyait à peine manipuler les poupées grandeur nature… Maintenant, c’est la scène du bal : Cyndrella choisit et gagne son mâle et, comme on est à Béthély, elle quitte la scène avec lui. (Elles sont plus explicites à Wardenberg. J’ai été bien choquée, la première fois !) Cyndrella revient danser avec les autres Reines. La nouvelle Reine, qui est une de ses sœurs mais ne le sait pas, a remarqué son habileté lors du Choix et, séduite, elle l’invite à danser. Et minuit sonne et Cyndrella s’enfuit en perdant sa sandale et tout arrive ensuite comme prévu mais chaque fois c’est merveilleux, n’est-ce pas ? La jeune Reine donne son nom à Cyndrella avec le droit de porter des enfantes – c’était la partie que nous préférions, quand nous étions petites, toi et moi. « Désormais tu seras Cyndria. »

C’est alors que j’ai pris conscience de sa présence. Elle était derrière moi depuis un moment, mais sans doute a-t-elle choisi de n’être remarquée qu’à ce moment-là. J’ai senti qu’on me regardait. Mon réflexe a été de m’éloigner comme si je ne m’étais aperçue de rien. Mais ce n’était pas possible : elle était comme nous – toi, Antoné, Kélys. Et elle savait que j’étais comme elle, la résonance ne trompait pas. La curiosité m’a retournée vers elle. Son masque lui cachait seulement les yeux – un masque d’oiseau écarlate, avec un bec argenté. Elle était plus petite que moi et si mince, mais je n’ai pas pensé que c’était une Verte. Sa résonance était trop… dense, trop complexe, un peu comme celle de Kélys. C’était difficile de voir ses traits à la lueur des gazoles, de lui donner un âge. Je me rappelle une impression de netteté, pourtant. Mais j’ai surtout vu l’auréole noire de ses cheveux qui moussaient sur son front. Et ses yeux, les pupilles dilatées dans la pénombre, mais pas assez pour cacher complètement leur teinte claire. Elle m’a souri, une invite – c’était la nuit des masques, après tout – mais plus qu’une invite aussi, à cause de la résonance.

Ça ne m’était jamais arrivé d’être sans toi la nuit des masques sur le champ de Foire. Je ne savais trop que faire. Je me demandais si elle réalisait que j’étais bien plus jeune quelle. Elle m’a pris le bras et m’a tirée doucement vers les étales encore illuminées. Elle m’a demandé : « As-tu déjà choisi quoi échanger ? »

J’ai dit que je n’avais pas eu le temps de préparer quelque chose. Elle s’est arrêtée devant létale au collier d’émail en disant : « Moi, j’ai choisi. » Elle s’est mise à parler en iturri avec l’artisane, très vite – je le lis mieux que je ne le parle, encore maintenant. À la fin de la discussion, elle a porté les mains à son cou, sous sa cape, et elle a détaché quelque chose, un collier, des grenats clairs sertis dans du cuivre, un collier de Mère.

L’artisane a été étonnée, bien sûr. Alors elle lui a dit encore quelque chose que je n’ai pas bien compris, mais il y avait le mot « amour » et le mot « mort », et l’artisane a souri gravement en acceptant l’Échange.

Après, elle m’a entraînée vers les échoppes, elle m’a offert une coupe de sanagre chaude. Nous avons parlé. De la Foire, du collier, des Jeux, de la musique qui s’était mise à jouer du côté des estrades. À son accent, elle était sûrement de Brétanye, mais ce n’était plus très important de savoir son âge ni qui elle était. Même si je n’étais pas masquée, je me sentais libérée, pour un moment je n’étais plus vraiment moi. C’est un peu comme un rêve quand j’essaie de m’en souvenir maintenant. Détaché de tout, sans rapport avec mon angoisse des jours précédents, mon angoisse de ce qui allait se passer le lendemain. C’était… comme dans Cyndrella. Avec la résonance (et peut-être aussi la sanagre), j’avais l’impression de la connaître depuis longtemps – et en même temps, tout en elle était nouveau ! C’était une expérience étrange. Nous avons recommencé à marcher à travers la Foire tout en parlant – de Béthély maintenant, de la Litale.

Je ne me rappelle plus exactement le cours de la conversation, mais à un moment donné, elle a parlé de changement, elle a comparé le Pays des Mères à un grand chaudron de soupe sur le coin du feu : une Assemblée toutes les années, pour laisser échapper la vapeur – cette de chaque province ou celle des Mères. Sa comparaison m’a fait rire. Nous, tu te rappelles, nous pensions plutôt à une plante qui fait une nouvelle fleur tous les ans, ou une nouvelle feuille, ou une nouvelle branche. Et puis soudain tout est revenu – l’Assemblée, le changement, oui. Elle a senti la différence d’humeur, bien sûr. Elle m’a demandé ce qui me préoccupait.

Et j’avais tellement besoin de parler à quelqu’une depuis tout ce temps, tu comprends, Tula, et il y avait la résonance, et j’avais bu un peu trop de sanagre. Et puis, je ne lui ai rien dit de précis. Je lui ai demandé si elle avait peur des changements. Un peu pour la sonder, tu vois, puisque c’était une Mère, elle serait à l’Assemblée le lendemain. Elle a dit « Et toi ? » J’avais peur, elle le sentait bien, elle me l’a dit. « Pourquoi ? elle a ajouté. Il y a de grands changements qui s’en viennent ? » J’ai dit que oui. « Pour toi ? » « Pour tout le monde. » Je la sentais grave, maintenant, comme si elle comprenait. « J’admire celles par qui le changement arrive, elle a dit, parce qu’il faut beaucoup de courage pour obliger les autres à changer. » Comme je ne disais rien, elle a repris : « Moi, j’aime avoir des surprises. J’aime aussi… faire des surprises » – et elle s’est mise à rire. Oh, elle savait qui j’étais, je m’en rends compte maintenant. Je ne sais pas comment, mais elle savait. Je n’y pensais pas, de toute façon. Tout d’un coup, tu vois, je n’avais plus si peur. Parce qu’elle n’avait pas peur du tout, elle, de rien. Être près d’elle en cet instant-là, c’était comme être près de l’endroit où la foudre vient de tomber, la force encore dans l’air et ce parfum indescriptible, vibrant, qui vous hérisse la peau…

Le lendemain, à l’ouverture de l’Assemblée, Selva me l’a présentée, Guiséia d’Angresea, mais je ne savais pas que, la veille, c’était elle. Si elle portait le collier, il était caché dans l’encolure de sa robe, je ne l’ai pas vu.

Chroniques du Pays des Mères
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